HORS-SITE : Industrialiser la construction au service de la ville sobre et décarbonée de demain

HORS-SITE : Industrialiser la construction au service de la ville sobre et décarbonée de demain

Le secteur de la construction fait face à une triple révolution : environnementale, digitale et industrielle. Son modèle historique s’essouffle et il est urgent d’envisager de nouveaux modèles associés à de nouvelles méthodes de conception et de construction plus efficientes. Comment la construction hors-site, en combinant préfabrication et industrialisation, peut-elle représenter une solution majeure face aux enjeux complexes soulevés par la densification des métropoles, les difficultés économiques du secteur et l’urgence de la décarbonation ? Comment le hors-site permet-il d’apporter une réponse aux défis d’aujourd’hui et de demain ? Quelles sont les promesses de cette nouvelle approche qui se positionne au coeur des transitions ?

L’ADEME définit la construction hors-site comme un « processus de construction ou de rénovation intégrant la conception, la préfabrication, la logistique, le contrôle qualité, la mise en oeuvre sur le chantier et la démontabilité en fin de vie, de sous-ensembles de bâtiments produits en dehors du chantier ». C’est une approche collaborative qui repose sur l’utilisation de composants préfabriqués en usine, ensuite transportés sur le chantier, qui devient un site d’assemblage.

Avant d’être une révolution technique ou technologique, la construction hors-site est avant tout une révolution méthodologique, à l’interface entre l’innovation des process et des produits, qui sert des enjeux de qualité, de délais, de rentabilité, de sécurité, d’écologie, d’économie circulaire et de cycle de vie.
 

ÉCOLOGIE, DIGITAL ET INDUSTRIE : LA TRIPLE DETTE DE LA CONSTRUCTION

Avec un écosystème qui peine à maîtriser son objet premier - à savoir construire dans un cadre de coûts, de délais, de qualité maîtrisée, d’empreinte environnementale réduite et de sécurité au travail améliorée, le tout avec un facteur d’échelle significatif -, le secteur
de la construction est au pied du mur. Il doit se réinventer et engager une transformation profonde dans un délai contraint.

3 chiffres illustrent les défis auxquels la filière doit faire face :

  • L’empreinte carbone de la chaîne de valeur du bâtiment représente 153 Mt CO2e en 2019, soit 25 % de l’empreinte carbone annuelle de la France[1].
  • Moins de 6 % des projets ont recours au BIM[2] ;
  • La productivité du secteur a chuté de 20 % depuis 2001[3].


Avec près de 427 000 entreprises et une moyenne de moins de trois salariés par entreprise, le secteur de la construction en France est atomisé[4]. La multiplicité de petites entreprises opérant sur des zones géographiques diverses, faiblement capables d’investir dans la formation et la R&D, apparaît comme l’une des explications au déficit d’innovation chronique du secteur.

Le départ à la retraite des baby-boomers, qui représentaient un important vivier de main-d’oeuvre qualifiée, génère une augmentation caractérisée du coût de la non-qualité. D’après l’Agence Qualité Construction, la sinistralité dommages-ouvrages a augmenté de 6,7 % entre 2012 et 2021[5]. Concrètement, cette situation se traduit par une baisse de la productivité et une élévation continue des primes d’assurance depuis plus de dix ans.

[1]Extrait du rapport « Feuille de route décarbonation du cycle de vie du bâtiment » - https://bit.ly/3JvrfPd
[2]Baromètre 2020 du PLANBIM2022 - https://plan-bim-2022.fr/wp-content/uploads/2021/03/Barom%C3%A8tre-BIM-2020-Infographie-4-pages-v4.pdf
[3]https://www.lemoniteur.fr/article/ameliorer-la-productivite-dans-le-secteur-de-la-construction-en-france.2294577
[4]Rapport FFB « Le bâtiment en chiffres 2022 » - Juin 2023 - https://www.ffbatiment.fr/le-batiment-en-chiffres
[5]Agence Qualité Construction – Url - file:///Users/alice/Downloads/r-observatoire-qualite-construction-2023-aqc.pdf


Malgré des bénéfices certains sur la qualité finale des ouvrages grâce à sa capacité à gérer d’importants flux d’information avec un haut niveau de précision, le BIM reste peu déployé en France. À l’exception de projets complexes ou d’ampleur, très peu de projets « courants » recourent au BIM.

Les raisons sont multiples mais la principale reste la difficile valorisation du ROI d’une telle démarche dans un écosystème encore mal formé et peu interopérable. La discontinuité du flux digital entre la phase de conception et la phase de construction du projet ne permet pas d’exploiter les bénéfices du BIM en phase d’exploitation et de maintenance.

Parce que ses composants industrialisés sont nativement digitalisés, l’approche hors-site doit permettre de combler ce fossé et favoriser le déploiement d’une chaîne de valeur hautement digitalisée.

 

LE HORS-SITE : UN LEVIER DE MODERNISATION AU SERVICE D’UNE CHAÎNE DE VALEUR PLUS PERFORMANTE ET EFFICIENTE

D’éléments relativement simples aux modules 3D préfabriqués à 95 % en usine, l’approche hors-site s’appuie sur des composants à échelle variable. Les anglo-saxons utilisent un indicateur appelé « PMV » (Pre Manufactured Value) pour déterminer le niveaude hors-site appliqué à un projet donné.

 

En passant d’une logique de matériaux monofonctionnels à une logique de systèmes constructifs multifonctionnels, le hors-site implique de révolutionner les méthodes de travail pour rendre la chaîne de valeur plus efficiente.

Afin d’exploiter pleinement le potentiel de ces nouveaux procédés constructifs, il est nécessaire d’appréhender le développement et la conception des projets d’une nouvelle manière, en intégrant en amont certaines données d’entrée issues des systèmes constructifs eux-mêmes. On ne conçoit plus à partir d’une feuille blanche, on conçoit à partir de composants ou systèmes constructifs que l’on intègre dans les projets. Cette méthodologie est appelée « DfMA » (Design for Manufacturing & Assembly). Pour ce faire, il est essentiel de pouvoir collaborer dès le départ avec une équipe projet pluridisciplinaire, il s’agit de passer d’une logique d’ingénierie séquentielle à une ingénierie concourante.

La performance d’un projet passe nécessairement par la sélection des procédés constructifs les plus adaptés dès la phase de développement. Ce déplacement de l’ingénierie dans les phases plus amont d’un projet n’est pas neutre vis-à-vis des process d’achats et implique une anticipation de la prise de décision, notamment la désignation des prestataires et entreprises.

Réduction des délais, augmentation de la qualité perçue, réduction des nuisances de chantier, augmentation de la sécurité des ouvriers… En phase chantier, les avantages de la construction hors-site sont nombreux mais impliquent la prise en compte de nouvelles contraintes et la réussite d’un projet nécessite de nouvelles compétences. La préfabrication d’éléments de grandes dimensions a un impact important sur l’organisation logistique. Le transport et le stockage deviennent des paramètres clés de la réussite d’une opération et leur maîtrise est essentielle afin de garantir un assemblage aisé des éléments sur site.

L’accélération du temps de chantier est un facteur d’autant plus intéressant dans un contexte de remontée des taux d’emprunts où les frais financiers pèsent de plus en plus sur les bilans d’opérations.

Mais au-delà de la rapidité d’exécution, le déplacement d’une partie du chantier dans une usine en dehors de la ville génère une réduction importante des nuisances pour le voisinage, augmentant de facto son acceptabilité pour les environnants.

En transférant la construction dans un environnement contrôlé, avec des conditions météorologiques stables toute l’année, les ouvriers évoluent par ailleurs dans un cadre plus sécurisé et propice à la formation, tandis que la mise en oeuvre de plans d’assurance qualité industriels garantit une maîtrise inégalée de la qualité des produits préfabriqués en usine.

Développer la construction industrialisée permet également de répondre aux problématiques des bassins d’emploi à redynamiser. En installant une usine de production dans des territoires fragilisés, le hors-site favorise le retour à l’emploi d’ouvriers d’industries délocalisées. Une bonne façon de faire ruisseler des dynamiques de métropoles dans des territoires plus éloignés.
 

LE HORS-SITE : UNE LOGIQUE D’INDUSTRIALISATION NOUVELLE DANS LA CONSTRUCTION

La construction hors-site opère dans une logique d’industrialisation souvent comparée à la vague de préfabrication qu’a connu la France après-guerre. Cependant, même s’il existe des similitudes dans les deux démarches, permettant de rationaliser l’acte de construire, le but après la guerre était de reloger en urgence et de construire vite, dans un contexte où la main-d’oeuvre était abondante et les exigences architecturales limitées. Aujourd’hui, cette nouvelle quête d’industrialisation porte des ambitions et des valeurs bien différentes, autour de nouveaux enjeux sociétaux, industriels et écologiques, mais aussi digitaux.

Historiquement, la conception d’un bâtiment se fonde sur une logique de prototype. Il n’y a aucune approche répétitive ou standardisée, tout doit être réinventé à chaque projet. L’industrialisation implique de changer[7] radicalement cette vision, en s’appuyant notamment sur la notion de « produit ». Il n’y aura pas d’industrialisation sans productisation.

Grâce à sa complémentarité avec les outils digitaux, dont la puissance doit permettre d’atteindre un haut niveau de variabilité sans compromettre l’efficience d’une chaîne de production industrialisée, la construction hors-site porte en elle cette promesse de contribuer à lever les freins à l’industrialisation de la construction, jusqu’à « industrialiser le sur-mesure ».

Ce nouveau paradigme implique de renforcer les synergies entre les différents acteurs et de pallier le manque d’interopérabilité des systèmes. Il exige de redéfinir la façon dont l’ingénieur et l’architecte collaborent à l’heure où les bâtiments, de plus en plus complexes, doivent répondre à des normes toujours plus exigeantes, entraînant une complexification du métier de l’architecte. S’il veut pouvoir conserver son rôle de maître de la conception, celui-ci doit opérer un glissement progressif vers une maîtrise de ces nouveaux éléments plus techniques. C’est dans cette optique que l’ESTP a créé en partenariat avec l’ESA un double diplôme d’excellence d’architecte-ingénieur.

Reste que le bâtiment ne sera jamais un produit manufacturé comme dans les autres industries, et s’inscrira toujours dans un contexte urbain spécifique, avec un haut niveau de variabilité intrinsèque.

Si la construction hors-site répond à une grande variété de besoins, elle n’est pas adaptée à tous les projets. En fonction des contextes, il convient de déterminer en amont le bon « mix » de procédés constructifs, qu’ils soient hors-site ou traditionnels. L’essentiel est de répondre le plus justement à un besoin. Une révolution donc mais qui n’a pas vocation à faire disparaître la construction traditionnelle.
 

« LA CONSTRUCTION HORS-SITE SERA ÉCOLOGIQUE OU NE SERA PAS »

Utilisation des filières sèches et biosourcées, approvisionnements en circuit court, réduction des déchets, réduction des flux logistiques sur chantier et facilité de déconstruction des bâtiments : sur le volet écologique, la construction hors-site en France présente de nombreux avantages, même si la filière manque de données structurées afin de valoriser ces avantages.

Il ne s’agit pas uniquement de construire mais de concevoir un nouveau un modèle plus vertueux, de la conception à la déconstruction. Cette capacité intrinsèque du hors-site à faciliter le démontage et le recyclage permet d’imaginer à l’avenir des bâtiments évolutifs, voire déplaçables avec un impact environnemental drastiquement réduit. Si tous les bâtiments n’ont pas vocation à être un jour déplacés, cette approche reste très intéressante dans la capacité de la construction hors-site à pouvoir s’intégrer dans une logique d’économie circulaire. Dans le même esprit, le haut niveau de digitalisation des produits hors-site permet d’appréhender les bâtiments comme des banques de matériaux où chaque élément est repéré et référencé, en vue d’une future déconstruction et d’une revalorisation.
 

RECONSTRUIRE LA VILLE SUR LA VILLE

Rénover, reste souvent la solution la plus efficace pour réduire l’empreinte carbone de l’immobilier. Avec près de 80 % des bâtiments de 2050 qui existent déjà et les réglementations limitant l’artificialisation des sols, la construction neuve va probablement ralentir au profit d’un accroissement de la rénovation énergétique du parc existant.

La construction hors-site, par sa capacité à accélérer les temps de chantier et à créer de la valeur dans les territoires tout en réduisant les nuisances, s’affiche comme un élément indispensable pour penser la construction de la ville de demain. Un outil essentiel pour les collectivités et les donneurs d’ordre pouvant alors mener de front deux ambitions d’envergure : rendre la ville plus agréable et reconstruire la ville sur la ville.

 

FORMER ET INNOVER : L’ESTP S’ENGAGE POUR FAIRE AVANCER LA CONSTRUCTION HORS-SITE

 

L’essor de la construction hors-site induit des besoins de formation considérables à tous les échelons. L’ESTP, en tant que leader historique dans la formation d’ingénieur-es de la construction, a l’ambition d’accompagner cette transition, convaincue de l’importance
de sensibiliser très tôt à ces dynamiques émergentes.

Grâce à leur facilité naturelle à exploiter les outils digitaux et à leur conscience des enjeux environnementaux, les élèves qui rejoignent l’école seront les actrices et les acteurs de cette transition. Ces nouvelles visions et nouveaux modes de travail, en rupture avec les pratiques traditionnelles dont l’univers du bâtiment a longtemps pâti, sont la clé de voute de la construction de demain.

Pour sa part, l’Institut de recherche de l’ESTP accompagne ses partenaires dans leur démarche de recherche et d’innovation, pour concevoir les matériaux, structures, procédés et systèmes constructifs, outils numériques et méthodologiques, permettant de lever les nombreux verrous induits par cette transition.

L’ESTP porte cette évolution au coeur de son identité même. Initialement créée sur un imaginaire tourné vers la construction de grands projets d’infrastructures, l’école vise désormais à aller plus loin en repensant la ville de demain. En témoigne l’évolution de la signature « l’école des grands projets » devenue cette année « constructeurs d’un nouveau monde ».

Bouton estp

Une question ? Un projet ? 

ROMAIN GERARD, Agence de conseil AMO et ingénierie, spécialiste des procédés constructifs hors-site
romain.gerard@estp.fr
+33 (7) 69 11 59 39

GILLES BETIS, Responsable du développement et de l’innovation, ESTP
gbetis@estp.fr
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