MATÉRIAUX BIOSOURCÉS ET GÉOSOURCÉS : UNE SOLUTION DE DÉCARBONATION QUI RÉVOLUTIONNE DÉJÀ LE SECTEUR DE LA CONSTRUCTION

Par YASSINE EL MENDILI, Professeur et responsable de l’équipe Matériaux pour la construction durable de l’Institut de recherche de l’ESTP.

La construction représente aujourd’hui 43 % de la consommation énergétique annuelle française et génère 23 % des émissions de gaz à effet de serre (GES)[1], ce qui la hisse au rang des secteurs impactant le plus le changement climatique. Face à l’urgence de la transition écologique, il est impératif d’innover pour décarboner la filière. Et si la solution résidait dans les systèmes constructifs fondés sur des bio et géomatériaux ? Pionnière sur le sujet, l’ESTP se mobilise pour accompagner étudiants, chercheurs et industriels dans la transition vers des constructions durables, intégrant des matériaux bio et géosourcés.

 

L’innovation progresse pour rendre les matériaux de construction moins polluants. Certains bâtiments sont même en mesure d’absorber plus de CO2 qu’ils n’en rejettent. Une nouvelle donne permise grâce aux propriétés des matériaux biosourcés, issus de la biomasse et des animaux(bois, laine, chanvre,lin…) et des matériaux géosourcés, qui proviennent du sol, comme la terre crue. 

À l’inverse des matériaux en béton traditionnel, dont la fabrication nécessite de grandes quantités d’énergies carbonées (broyage et traitement thermique), la fabrication des biomatériaux mobilise des quantités d’énergies marginales, permettant même leur utilisation comme « puits de carbone » du fait de leur capacité à stocker le CO2 émis dans l’air durant leur
cycle de vie.

La filière doit cependant répondre à une problématique de fond : certains matériaux cimentaires sont difficilement remplaçables par des alternatives 100 % biologiques. C’est notamment le cas du béton, sans lequel il est encore aujourd’hui très complexe de dresser des bâtiments de plus de cinq étages. Tout l’enjeu réside donc dans le fait d’intégrer ces biomatériaux à des structures en béton traditionnel, en intégrant de nouvelles fonctionnalités mécaniques et hygrothermiques, tout en prenant soin de la préservation des ressources naturelles utilisées.

Notre conviction est que l’utilisation des biomatériaux doit s’inscrire dans une démarche architecturale plus vaste et plus globale : l’architecture régénérative, au-delà du recyclage des matériaux de déconstruction en fin de vie des bâtiments. En biologie, la régénération fait référence à la capacité à se renouveler, à reconstituer des tissus. Appliquée à l’architecture, elle implique d’inverser les dommages écologiques pour avoir un impact positif sur l’environnement naturel, biologique, social et économique. C’est finalement aller plus loin que la durabilité en passant de « faire le moindre mal » à « faire du bien » à l’environnement. L’avantage des matériaux bio et géosourcés est qu’ils se recyclent réellement à l’infini, soit en les réutilisant, soit en les réinjectant dans un cycle naturel, par exemple par compostage.

[1]Source : Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires / Ministère de la Transition énergétique

 

DES INCITATIONS RÉGLEMENTAIRES ET FISCALES

Depuis quelques années, pour accélérer le développement des biomatériaux, le gouvernement renforce son cadre réglementaire. En 2012, le label « Bâtiment biosourcé » a permis d’attester de la conformité des nouvelles constructions intégrant des matériaux biosourcés.

Un nouveau texte est venu compléter ce dispositif : la Réglementation environnementale (RE) 2020, prévue par la loi Évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (Elan), issue du Grenelle de l’environnement. Entrée en application en janvier 2022, elle prévoit de poursuivre l’amélioration de la performance énergétique et la baisse des consommations des bâtiments neufs par l’intégration de matériaux biosourcés, de diminuer l’impact sur le climat des bâtiments neufs et de permettre aux occupants de vivre dans un lieu de vie et de travail adapté aux conditions climatiques futures. Une aubaine pour les bio et géomatériaux !

En complément du cadre réglementaire, il existe de nombreuses incitations à destination des professionnels et des particuliers. Le plan de relance exceptionnel que l’État a déployé à la suite de la crise du Covid-19 bénéficie fortement au secteur, à travers deux axes : le volet « rénovation énergétique », qui implique l’utilisation des matériaux biosourcés en rénovation, et le volet « transition agricole, alimentation et forêt », prévoyant des aides aux investissements face aux aléas climatiques, le reboisement des forêts françaises et le soutien à la filière bois.


 

MISER SUR LA FORMATION ET LA RECHERCHE POUR RENFORCER LA FILIÈRE

Pour construire un bâtiment durable, il faut avant tout savoir le faire… C’est pourquoi nous sommes convaincus que le développement de la filière passera par la formation - des ingénieurs, des architectes mais aussi des professionnels du bâtiment - et par la recherche. Il est à cet égard nécessaire d’oeuvrer pour une appropriation des savoir-faire à travers la rédaction de règles professionnelles, de guides de mise en oeuvre et de formations.

À l’ESTP, nous nous engageons à former des experts hautement qualifiés pour appréhender les réglementations de la construction et de l’habitat durables, pour en faire des ambassadeurs de la construction régénérative. Ces formations conduisent les experts à concevoir de nouveaux bâtiments à faible dépense énergétique et à haute qualité environnementale. La construction durable ne consiste pas seulement à construire des bâtiments écologiques. Cette approche environnementale va plus loin en tenant compte de l’expérience future des utilisateurs, des coûts énergétiques des bâtiments, de l’utilisation des déchets industriels, du recyclage des matériaux après le démantèlement et du développement économique des filières locales dans un modèle d’économie circulaire et régénérative.

Une démarche qui implique d’accorder une place de choix aux bio et géomatériaux dans les cursus d’ingénieurs, et ce dès la première année. C’est aussi une des raisons qui nous a poussés à créer plusieurs Mastères Spécialisés tels que « expert de la construction et de l’habitat durable », « maître d’oeuvre en travaux de génie écologique » ou « responsable construction bas carbone », ainsi qu’une formation en apprentissage d’ingénieurs en énergétique de la construction durable.

Le volet « recherche » est tout aussi crucial afin d’avancer sur la maîtrise des bio et géomatériaux. Depuis sa création, l’ESTP mobilise des moyens conséquents pour prendre part à d’importants travaux de recherche. Elle participera notamment à un projet européen de bâtiment pilote, en partenariat avec d’autres acteurs académiques et industriels, visant à créer un système constructif bio et géosourcé pour le confort hydrothermique et l’amélioration de la qualité de l’air intérieur.

Par ailleurs, d’autres projets emblématiques sont portés par l’ESTP, à l’instar de l’élaboration de panneaux isolants 100 % naturels à base de fibres végétales et de liants issus de la biomasse.

Un autre axe essentiel de la recherche réside dans les travaux portant sur les matériaux cimentaires. Des alternatives moins polluantes que le béton, sont actuellement en train de voir le jour, en particulier la brique de chanvre (mélange de chanvre et de chaux), qui a montré de bonnes performances mécaniques, proches de celles du béton tout en améliorant le bilan thermique de l’ensemble. Afin de réduire davantage son empreinte carbone, nous travaillons actuellement sur le remplacement de la chaux par des liants biosourcés, une réponse efficace à l’enjeu d’amélioration de la performance environnementale des bâtiments.

À cet égard, en partenariat avec le groupe Vicat et l’entreprise FRD, l’ESTP a lancé le projet FibraBéton, visant à mettre sur le marché une solution innovante de fibres végétales techniques pour la filière des chapes et des bétons fibrés ultra-hautes performances. L’objectif est de remplacer les fibres polymères utilisées jusqu’à présent par un matériau biosourcé.

Le constat fait désormais consensus dans le secteur : les matériaux bio et géosourcés s’imposent comme une innovation incontournable de la construction durable. Intégrée à une approche d’architecture régénérative, cette vision, maintenant largement partagée, participera à l’accélération de la décarbonation de notre société.


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⚫YASSINE EL MENDILI, Professeur et responsable de l’équipe Matériaux pour la construction durable, ESTP
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